Follow me...

Ses yeux fixent un point au loin. Un point indéfini. Pas proche et pas lointain. Juste assez loin pour que personne d’autre ne le voie et juste assez près pour que lui le remarque. Un point imaginaire. Un point qu’il aime appeler le « Point de non-retour ». Le Point où les rêves s’envolent après qu’on leur ait cassé les ailes. Un point avec une majuscule, parce qu’il avait envie. Tout bonnement. Son regard glisse sur les alentours. Surface lisse sans aspérités où son regard puisse se fixer. Ses yeux glissent, glissent, glissent. Indéfiniment. Dans un laps de temps trop long pour ne pas avoir duré, en vérité, que quelques secondes d’éternité. De toutes façons, l’éternité ne repose sur rien d’autre que la conception que l’homme a du temps…

Il secoue la tête et repousse une mèche derrière son oreille, effleurant du bout des doigts le bleu qui marque sa joue. Une légère grimace tord ses lèvres mais il se reprend aussitôt et ses lèvres reprennent ce qu’on pourrait considérer comme étant leur forme habituelle. Juste un coin relevé. S’ébouriffe les cheveux, s’auto rassurant de cette façon qui, avouons-le, est des plus précaire. Ses dents impriment doucement leurs marques sur sa lèvre inférieure. Il sent ses mains trembloter dans sa poche. Il est fatigué. A moitié mort de peur. Et il est chez un inconnu à qui il pourrait prendre l’envie de le tailler en pièce. L’idée est, en soi, absurde considérant le fait que l’ « inconnu » lui ait, justement, sauvé la vie mais sa mauvaise foi et sa méfiance omniprésente l’empêche de prendre en considération ce fait. Il est sur ses gardes. Du moins autant que son état de fatigue avancé le lui permet. Pas beaucoup, donc. Ses yeux s’accrochent aux dos qui le précède et il pousse un léger soupir.

Un manoir se dresse sous ses yeux ébahis. Il commence à se demander si tout cela n’est pas un rêve, une énième fantasmagorie tout droit sortie du lit de son insatiable imaginaire. Il se pince le bras et cligne des yeux. Le manoir est toujours là, Gabriel aussi. Ses orbes bleus s’allument et s’éteignent au grès des papillonnements répétitifs de ses paupières. Estomaqué. C’est le mot. Il se sent tout petit face à l’imposante bâtisse.

Et puis, songe-t-il avec un sourire amer, ça fait tellement longtemps que je n’ai pas pénétré dans une « maison »…

Sa bouche se tord quand il repense aux années de froid passées à errer de ville en ville à la recherche d’un peu de chaleur. Pas la chaleur du soleil, non, la chaleur d’un sourire, la chaleur d’une voix l’interpellant. Il grimace et son air fatigué et maussade s’accentue de ce fait. Il se tourne vers « Gabriel » et le fixe sans gêne aucune, cherchant quelque chose dans ses traits prouvant que toute cette scène relève de la fiction et de l’imaginaire, du rêve et du fantasme. Il n’y trouve rien. Rien de ce qu’il cherchait. Rien de ce qu’il ne cherchait pas non plus, à tout bien réfléchir. Il frotte ses yeux avec ses mains avant de, finalement, oser ouvrir la bouche le premier :

« Pourquoi m’avoir emmener ici ? »

Loup souffla sur la fumée du chocolat qui s’élevait dans l’air, la chassant vers d’autres lieux où elle serait mieux accueillie. L’esprit totalement déconnecté, il fixe sans honte aucune l’étrange personnage assit en face de lui. Ses paupières se closent et se rouvrent en un ballet d’éclats bleus sans fin et à la continuité douteuse. Il déteste les hunters. Voyez-vous cela. Lui n’avait jamais eu qu’une vision éthérée de ce que pouvait être un véritable « hunter », ses seuls détracteurs n’ayant jamais été que quelques humains le prenant pour un clodo. Il baille un peu, le bout des doigts appuyé contre sa bouche.

D’un geste ample, le Vampyr ôte sa chemise et Loup à tout le loisir de découvrir avec horreur et consternation la large tâche marquant la blancheur du tissu. Il se lève pour venir se rasseoir, posant une boite sur la table que l’esprit critique fatigué de Loup indique comme étant une boite de soin. Il boit une gorgée de chocolat et la voix de Gabriel tranche l’air avec vivacité :

- Pourriez-vous m'aider à retirer...mmhmmm...cette fichue balle d'argent ?

Il pose son chocolat sur la table et se lève pour s’approcher du Vampyr. Il secoue la tête avant de dire :

« Franchement, vous n’auriez pas du vous donner la peine de m’aider… Vous avez risqué votre vie pour pas grand-chose. »

Il soupire et pioche quelques objets dans la mallette dans le but d’enlever la balle en causant le moins de douleur possible au blessé. Il est plus ou moins habitué à soigner des blessures mais, généralement, ce n’est que lui-même qu’il soigne et pas de plaies aussi grave qu’une balle largement enfoncée dans l’épaule.

« Si vous avez un muscle touché je ne pourrai rien y faire, vous savez ? Je ne peux que vous enlever la balle… »

Tout en parlant il commence sa tâche cherchant par son intensif babillage désordonné et relativement futile à détourner l’attention de l’apparent jeune homme, le temps d’extraire la balle. Ce qu’il arrive à faire après maints gémissements de douleur et frissons aux contacts de la pince gelée. Il désinfecte la plaie avec le seul désinfectant qu’il trouve dans le coin, liquide ambré qu’il ne connaissait absolument pas mais dont il doit se servir avec une confiance aveugle. Il se demande, soudain, s’il saura recoudre la plaie correctement alors que ses mains tremblent. Puis, de la même manière, un autre doute affreux le saisit : Ca se recoud, un trou causé par une balle ? Il doit tirer une tête bizarre parce que l’autre réprime un sourire. Loup décide, finalement, d’appliquer une compresse puis un bandage, serré, mais pas trop, autour de l’épaule de Gabriel. Il soupire et secoue la tête balayant son visage d’une multitude mèches blondes, parfois presque blanches.

Il s’affale à côté de l’autre Vampyr, une fois son « œuvre d’art » terminée. Il lorgne sur le chocolat qu’il a laissé de l’autre côté de la table et se décide, en un soupir, à se lever pour aller le chercher. Son dos est douloureux et il a l’impression que le simple fait de se redresser va l’achever. Ce qui n’est pas totalement faux. La tasse en main, il reprend sa position, bien moins fatigante et douloureuse. Il réprime un éclat de rire, songeant au ridicule de la situation. Après les humains, les hunters, il avait fait la totale aujourd’hui. Il songe au mini discours de Gabriel. La longue phrase à propos de la protection, du fait qu’ils allaient devoir rester ici… Qu’il pouvait, lui-même, rester ici. Loup secoue la tête et il songe avec ironie et amertume que, demain, il se réveillerait couvert de bleus et de sang séché à côté de sa poubelle. Sa poubelle. Un léger sourire perce ses lèvres lorsqu’il s’imagine allait demander les titres de propriété de la poubelle à la mairie de la ville. Il songe à la tête du Maire et il réprime un léger éclat de rire, préférant ne pas trahir le silence instauré.

Loup, accroupit près de la baignoire, la regardait d’un air circonspect. Il avait, certes, très envie de plonger dedans et de s’y noyer (même si, du fait de son état de Vampyr, ça ne risquait pas de lui faire grand-chose) mais quelque chose l’en empêchait. Quelque chose nommé affectueusement Méfiance. Méfiance envers ce sauveur aux velléités troubles. C’était peut-être stupide mais c’était ainsi. Il finit par s’asseoir en tailleur. Il pousse un soupir et se relève, balançant au diable et à ses comparses ses vêtements et se glissant dans l’eau chaude avec un plaisir certain. Il ferme les yeux en poussant un soupir bienheureux. La vapeur s’élevant de l’eau le ferait presque ronronner. Il jette un regard à une des longues mèches et soupire. Il est vraiment dans un état pitoyable. Il plonge la tête sous l’eau trempant ses cheveux blonds et tâtonne le rebord de la baignoire, à la recherche d’un flacon de shampooing ou de quelque chose pour laver ces satanés tiffs blondes qu’il ébouriffe, envoyant des particules d’eau dans ses yeux.

« Maiiiis >< »

Et voilà qu’il parle tout seul. Il soupire puis finit par repérer la bouteille tant espérée de l’autre côté de la baignoire. Il verse un peu de liquide dans sa main et commence à frotter ses cheveux dégoulinants avec. Il n’était vraiment pas présentable. Il soupire en bougonnant et recommence une immersion totale pour la deuxième fois. Deuxième shampooing. Troisième immersion. Enfin un résultat potable. Un peu de mousse lui glisse sur le nez et il éternue violemment, son nez frôlant l’eau. Eau qu’il aspira, d’ailleurs par les narines, par mégarde. Toux rauque, nez qui brûle, yeux qui piquent des larmes provoqués par la toux qui le secoue. Aussi frêle qu’une fillette, fut la seule chose qu’il pensa.

Loup est un maladroit. C’est un fait. Il le reconnaît, lui-même, de bon cœur (Quand il a quelqu’un à qui le reconnaître ce qui n’est pas arrivé depuis…Un certain temps.). Bref. Toujours est-il qu’en sortant de la baignoire, il s’est –assez lamentablement, disons-le- pris les pieds dans le tapis de bain, chutant de toute sa hauteur.

« Raaah mais putaaaaain ! »

Il se frotte, les genoux et se dit qu’il était déjà pas mal endommagé sans avoir besoin de se casser la figure à tout bout de champ. En parlant de ça… Il cherche des yeux une glace. Quelque chose dans lequel il pourrait admirer les dégâts. Les humains l’avaient pas mal esquinté. Il n’avait pas opposé de résistance. Sans doute pour ça. Il doit être un pacifiste suicidaire, ou quelque chose dans ce goût là. Son regard se réfléchit dans une surface plane et un sourire s’arrime sur ses lèvres. Il se lève, entoure ses hanches d’une serviette blanche, découvrant, par ce geste, un énième bleu et partit admirer son « corps de rêve », comme il disait ironiquement, dans la glace. Mouais. Pas folichon tout ça. Son estomac était douloureux pour avoir reçu plusieurs coups de pieds, ses épaules étaient recouvertes d’un voile de bleus et d’ecchymoses et une plaie marquait son flanc. Elle ne saignait pas pour le moment à cause de l’eau mais ne tarderait sans doute pas à reprendre son lent drainage. Il soupire en songeant qu’il allait devoir importuner son hôte. Mais, après tout, avait-il réellement de choix ? Il n’oserait jamais appeler « Kuma », de peur d’une réaction similaire à celle des « gardes du corps »rencontré à l’entrée du domaine. Il était hors de question qu’il s’abîme encore un peu plus. Il était déjà dans un sale état… Il soupire, se sèche, et se rhabille rapidement. Il contemple la tache sanguinolente marquant son haut et il se demande comment il a pu s’y prendre pour ne pas la remarquer. Ses sourcils se haussent jusque derrière la barrière de ses cheveux.

Il déambule dans les couloirs du manoir depuis quelques minutes, essayant d’accéder à la chambre de Gabriel sans croiser quelqu’un. Fichtrement difficile, pour tout avouer. En même temps, il s’est lancé tout seul le pari d’y parvenir. Et il a réussi. Après force de détour et de planques désastreuses mais il a réussi. Il frappe deux coups à la porte et attend, priant pour ne pas déranger un peu plus le Vampyr qui l’a recueilli. Quoiqu’il en soit il devait s’expliquer avec Gabriel avant de manger. Il lui devait des explications non ? Tout du moins une réponse à sa question.
« Depuis combien de temps vivez-vous dans la rue...c'est rare pour un vampire...c'est étrange... »
Il était bien placé pour savoir que c’était étrange mais ce n’est pas comme s’il avait eu réellement le choix. Sa propriétaire l’ayant plus ou moins viré de chez lui pour « recel d’objets volés ». Elle lui avait dit qu’elle n’appellerait pas les flics mais qu’elle ne voulait pas être mêlée à ça. Elle l’avait donc mis à la porte. Comment le jeune homme aurait-il pu expliquer que les quelques biens sur laquelle la femme de ménage était tombée était en faites le maigre héritage de ses parents décédés depuis déjà un siècle ? Non. Personne d’un tant soit peu sain d’esprit ne l’aurait cru. Et pourtant… D’ailleurs il avait fini par vendre cet héritage. « L’argent est moins lourd qu’une porcelaine », avait-il déclaré au prêteur sur gage. Ce qui n’était pas tout à fait faux…

Il tapote du pied dans l’attente d’un signe montrant qu’il y a quelqu’un dans la pièce. Loup est du genre patient. Heureusement.

Loup roula des yeux devant la tonne d’information à ingérer d’un coup. Il les énumère et les compte fictivement sur ses doigts : 1/ La pièce était immense, 2/ Elle était apparemment vide 3/ La voix était bien sortie de quelque part, non ? Il se frotte les cheveux, en grimaçant. La voix tranche de nouveau l’air et l’esprit du jeune Vampyr finit par assembler toutes les pièces du puzzle. Il s’approche du lit et une nouvelle information vient s’ajouter aux trois premières : 4/ Gabriel était diablement beau. Il secoue la tête et obéit machinalement à la demande du Vampyr. Hm…Yukata écru… Il l’enfile, capte le regard à un moment et hausse un sourcil. Il ferme le Yukata et dépose ses vêtements soigneusement pliés sur un fauteuil. Il lorgne sur la plaie, qu’il a vaguement bandée avec un lambeau de vêtement. Il ouvre la bouche lorsque l’autre l’interrompt, sans s’en rendre compte, sûrement, dans son geste. Toujours est-il qu’il suivit Gabriel jusqu’à la porte désignée. Porte qu’il ouvrit sous ses yeux stupéfaits. Une chambre ? Mais… Il fronça les sourcils à la question de Gabriel avant de dire en plaisantant :

« Vous savez… Je ne suis pas très difficile et dans l’état actuel des choses un simple lit aurait suffit à mon bonheur… Votre manoir est magnifique. »

Du moins le peu qu’il en avait vu…Un tiraillement le rappelle à l’ordre, il grimace avant de demander, doucement :

« Je ne voudrai pas abuser de votre patience mais… Auriez-vous du désinfectant et de la pommade ? J’ai quelques bleus et plaies à…soigner. »

Il se frotte les cheveux et son bandage de fortune lui rentre dans la peau, lui arrachant une énième grimace de douleur, vite dissimulée sous un sourire. La plaie n’était pas si grave que ça mais pas mal douloureuse. Les p’tits humains ne l’avaient pas loupé. Ils auraient eu du mal, remarque. Son regard se balade dans la pièce. Il sait qu’il réussira, sans doute, à la retrouver. Dans le cas échéant, il trouverait bien quelqu’un pour lui dire où elle se trouve… Non ? Il regarde son bras gauche et un doute affreux lui saisit soudain les entrailles. Il relève la manche et contemple le poignet nu, affligé. Quand l’avait-il perdu ? Il se frotte le poignet avant de soupirer, se souvenant qu’il l’avait mis dans la poche de son pantalon qui n’était pas trouée. Son porte-bonheur… Bracelet en argent offert par une gamine bien des années auparavant. « Heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur est offert… » Si les enfants pouvaient ne jamais grandir…Il chasse du bout de l’esprit, les pensées qui l’assaillent. Ca ne sert à rien d’y repenser. Aujourd’hui, il a juste le droit d’avancer.

Le poids absent de son bracelet sur son poignet le déroute un peu. Il a tellement l’habitude de l’avoir ce foutu bracelet qu’il se sent un peu à poil sans. C’en serait presque gênant. Il sourit doucement en songeant un « N’importe quoi » hilare. De toutes façons, ça ne pouvait pas être gênant puisqu’il était, autre paradoxe de sa personnalité, timide mais pas pudique. Il continue à frotter doucement son poignet, l’air absent. Un peu dans la lune. Comme d’habitude, de toutes façons. Il souffle doucement, faisant voler une mèche qui s’était déposé devant ses yeux, gênant sa vue, déjà brouillée par la fatigue.

Il ferme les yeux et se crispe légèrement lorsque les doigts entre pour la première fois en contact avec sa peau. Parce qu’il n’a plus l’habitude du contact, parce que… Parce que. Les mains qui dérivent sur son corps atteignent une de ses côtes et c’est un grondement douloureux qui bute sur ses lèvres. L’air préoccupé du Vampyr capta son attention et il finit par obéit à son injonction et à s’allonger sur le lit. Il fixe l’autre, inquiet et étrangement confiant à la fois. Confiant. Il ne devrait pas l’être. C’est un inconnu. Oui, bon. Il lui a sauvé la vie mais ça ne veut rien dire. Il l’a laissé le soigner mais ça ne veut ri- Oui. Bon. D’accord. Il bloque le ventre, retient son souffle, les mains glissent à nouveau sur lui. Un claquement. Sa côte remise en place. Ses mains agrippent le Yukata de Gabriel sous la douleur. Il a l’impression d’étouffer. Quoi que… Il ferme les yeux et ses mains serrent plus fort le bout de tissu. Le Vampyr bascule et sa main gauche va chercher celle de Gabriel qui repose sur ses côtes.

-Euh...ça ira...?
-O...oui....
-Bien tournez-vous sur le coté...

Le oui lui a énormément coûté. Trop. Il relâche Gabriel avec gêne et l’autre se relève et l’aide à se tourner sur le côté. Il grimace. Il sent le caleçon qui glisse plus qu’il ne le voit. Réaction instinctive de celui qui n’a confiance en personne, Loup attrape sa main, stoppant ainsi son geste. Les paroles prononcées après se perdent en un brouillard compact mais le gênent. Il détourne la tête, rougissant légèrement. Gêné, un peu paumé. Les mains massent doucement le bout de peau meurtrie et, bon sang, ça fait du bien. Il ferme les yeux et se laisse faire, fatigué de lutter et d’être sur ses gardes. Les mains s’attardent un peu plus sur ce bleu mais il ne s’en formalise pas. Ca lui fait du bien, pourquoi protester ?

Les mains le lâchent, le lit s’affaisse, à côté de lui. Il ouvre les yeux, le regard perdu. Il remue la jambe et sourit doucement. Certes, la douleur n’était pas totalement partie, mais elle n’était plus aussi omniprésente. Sa respiration se stabilise doucement et il finit par dire, avec un petit sourire :

« Merci… »

Il réalise avec un temps de retard, que Gabriel lui avait adressé la parole avant de s’asseoir. Il se dresse en position assise, avec une légère grimace d’appréhension. Un pincement au niveau de la plaie. Il crispe un peu les poings, attendant avec une légère crainte l’appel au secours de ses côtes. Rien ne vint. Rien d’insupportable. Rien. Il écarquille les yeux et son sourire s’affirme sur ses lèvres. Un large sourire de contentement. Les genre qui s’affiche peu sur ses lèvres. Il se tourne vers Gabriel avant de déclarer, joyeux :

« On va manger, alors ? »

L’air presque enfantin qu’il affiche à présent tranche avec l’air buté et fermé qu’il affichait auparavant. Plus de méfiance, du moins, plus autant. L’air joyeux est peut-être en toc, il est peut-être, aussi, très exagéré, mais tant pis, Loup est fan des grands extrêmes. Ce qui est curieux, en soit, puisqu’il a toujours pensé que le monde n’était pas partagé entre les infiniment mauvais et les infiniment bons. Il a même toujours trouvé cela stupide. Il secoue la tête, son sourire toujours fermement accroché aux lèvres. C’est que c’est collant ces p’tites bestioles, hein… Il s’étire doucement, essayant de minimiser les tractions sur les bleus. Il ne s’en tire pas trop mal, pour une fois, d’ailleurs. Mais bon, comme on dit, une fois n’est pas coutume ou alors « Pas doué un jour, pas doué toujours », comme on le lui a seriné quand il était petit. Mais bon. On finit toujours par s’y faire non ?

Ainsi, Gabriel se leva, passa la porte après que Loup eut enfilé de nouveau son yukata de soie, et laissa une servante qui se précipitait vers eux tout remettre en ordre dans la chambre. Ils se dirigèrent tous deux sans un mot vers la salle à manger. La table en bois vernis et les chaises dataient du 17e siècle. Elles avaient appartenu à ses ancêtres et maintenant, tout ce qui se trouvait dans le château lui appartenait. Il s'approcha de la table, et parla en s'approchant d'elle.

- Nous sommes deux ce soir....

Sa voix suave sembla résonner comme une berceuse dans la grande salle. La table frémit, et finalement, passa de 5 mètres de longs à seulement 1m50. Gabriel sourit en voyant la mine qu'ffichait Loup. Il lui fit signe de s'asseoi, et prit lui même place en face de lui. Les servantes accoururent alors avec un plat de viande saignante, ainsi qu'avec deux verres remplis d'eau et posée à coté, deux bloods tablet.

- J'espère que vous supportez bien ces tablets parce que c'est notre base d'alimentation dans ce manoir...C'est une formidable invention des petits suroué que l'académie Cross compte dans sa Night Class...Nero a vraiment fait beaucoup d'effort pour maintenir la paix vampire/humain...c'est dommage que des hunters comme ceux qui vous ont attaqué ce soir sèment la zizanie partout où ils passent...je risque d'avoir de sérieux problème...peut-être n'aurais-je pas du les tuer...

Gabriel plongea sa pastille dans son verre à pied, puis attendit que le liquide prenne une délicieuse couleur rouge sang, puis le vida avec un sourire de délectation. Il souhaita à Loup un bon appétit, puis commença à manger sa viande saignante et préparée avec amour par ses domestiques. Quand il eut finit de la manger, il reposa ses couverts, et croisa ses mains sur le bord de la table. Il allait appeler ses serviteurs d'un geste de la main quand une douleur fulgurante à son épaule lui fit baisser violemment le bras. Il se tint l'épaule et jura à voix basse. Haletant, il se leva de table.

- Excusez-moi Loup...je vais devoir me retirer...le sommeil me fera du bien...prenez un dessert si vous le désirez...j'ai ordonné à mes domestique de vous traiter avec autant d'égard que moi...bonne nuit...

Gabriel s'inclina et se dirigea vers la porte en se tenant l'épaule. Il ne marchait pas vraiment droit. La douleur lui remontait dans la nuque et atteignait la tête comme un marteau. Saleté d'eau de prêtre. Il jetta un dernier regard langoureux au dos de Loup avant de quitter la pièce d'un pas pressé. Il monta les marches quatres à quatres et arriva rapidement dans sa chambre. Là, il s'affala sur son lit. Il défit un peu son yukata noir pour voir où en était la plaie. Il soupira de soulagement en constatant qu'elle ne s'était pas réouverte. Il passa une main dans ses cheveux et se glissa sous sa couette, honteux d'avoir laissé son protégé seul en bas à finir son repas.

* De toute façon je ne vois pas ce que ma présence peut lui apporter de plus...je suis vraiment une tare quand je m'y met... *

Le Prince enfoui sa tête dans son oreiller, se pelotonna dans ses draps et ferma les yeux. Il avait presque un air innocent et enfantin ainsi. Mignon à croquer avec ses boucles d'un blond presque blanc qui balayaient son visage fin. Il repensa au combat. Il repensa aux hanches de Loup. Il sourit en repensant à lui. La douleur lui fit oublier son visage un moment. Il gémit, pressa sa plaie. La douleur s'estompa. Il referma les yeux, rêveur.

Peur. Crainte. Et puis… Un peu de sang versé. Toute la scène était allée trop vite pour lui. Et puis… Il caresse doucement les cheveux du Vampyr qui vient de retomber sur lui. Il se demande s’il a réellement bien fait de venir voir s’il allait bien. De toutes façons, maintenant qu’il était là, autant y rester. Ses mains glissent doucement dans le dos du Vampyr, hésitantes. Il sent bien que l’épaule reste douloureuse et il s’en veut de s’être retrouvé sur le chemin de Gabriel cette nuit. Les joues rougies de l’homme le font sourire doucement. Il prend soudain conscience de ses jambes empêtrés dans son kimono et il se rend compte de l’air froid qui souffle contre toutes les parties de son être exposées à la fraîcheur de la pièce. Les lèvres du Vampyr le font frissonner et l’air adorablement gêné qu’il affiche font frissonner à nouveau le jeune homme. Bon Dieu. Les joues de Loup se colorent un peu et il relève la tête de Gabriel délicatement, fichant son regard dans les pupilles grises. Il cherche quelque chose. Une ultime preuve que tout ceci est un rêve, peut-être ? Ou peut-être juste ce que Gabriel attend de lui ? Il sourit doucement, décidant subitement de ne plus se préoccuper de ça et il murmure, tentant de justifier sa présence en ce lieu :

« Vous n’alliez pas très bien… Quand vous êtes parti, je me suis demandé si je pouvais faire quelque chose… Pour vous. »

Le corps avachi contre le sien lui arrache un léger sourire paisible. Le sol n’est pas particulièrement confortable mais, au final, cela ne le dérangeait pas plus que ça. Ses doigts glissent à nouveau dans les doux cheveux blonds, avant qu’il se décide à réagir à la dernière affirmation prononcée par le Vampyr :

« Vous savez… Je ne vous trouve pas particulièrement pitoyable. Du moins, ce n’est pas vraiment l’adjectif qui me vient à l’esprit, dans l’immédiat. Vous vous êtes pris une balle d’argent dans l’épaule. Tous ça parce que je me suis fait attaqué par des Hunters. Ensuite, vous avez enfoncé vos deux doigts dans la plaie sans hésitation visible dans vos yeux ou sur votre visage. Et après tout cela, vous arrivez à tenir éveillé. Je sais bien que ce n’est pas une preuve, mais passons outre. Pour le peu que j’ai vu de vous, je peux vous assurer que vous n’êtes pas pitoyable. Je vous trouve courageux, même. En vérité, je crois que je vous admire. Vous n’êtes vraiment pas quelqu’un de commun… »

Toute une tirade pour une malheureuse phrase de son interlocuteur. Ce n’est pas de sa faute si si tout son esprit s’était révolté contre ce simple adjectif. Sur le coup, l’association de « Je » et « Pitoyable » dans la phrase du Vampyr lui avait semblé antinomique. C’était stupide. D’ailleurs, il était persuadé que Gabriel allait le trouver idiot après qu’il lui ait dit ce qu’il venait de déclarer. Il décolle une de ses mains de Gabriel pour cacher la rougeur de ses joues. Il n’aime pas la couleur écarlate qu’il sent qu’il est en train de prendre. Il n’aime pas du tout, du tout, même. Il se mordille nerveusement la lèvre inférieure. Une main écarte avec délicatesse, le bras masquant son visage. Il cherche les deux yeux gris et leur sourit. Un sourire spécial destiné aux beaux yeux des gens qu’ils rencontrent.

Le tissu amène de plus en plus Gabriel vers lui. Vision, ô combien réjouissante, pour le jeune Vampyr. Il ne sait même pas ce qu’il lui a pris. Son esprit s’est déconnecté et il a cessé tout bonnement de réfléchir. Bon sang. Cela devrait être interdit d’être aussi…Sexy.

- L...Loup....

Son prénom à peine balbutié le fait frissonner. Frisson d’appréhension. Frisson d’impatience et d’incompréhension. Il se sent un peu coincé. Coincé et en même temps afreusement attiré par les prunelles du Vampyr.

Les yeux ancrés dans ceux de son vis-à-vis, il tire un peu plus le yukata vers lui, faisant regagner à Gabriel la position agenouillée qu’il avait précédemment. Les lèvres fichtrement appétissantes de Gabriel viennent se poser sur les siennes et il ferme les yeux à son tour. La douceur des lèvres du Vampyr contre celles un peu gercé de Loup, le fait frémir. Il se décolle doucement de Gabriel, se demandant avec appréhension s’il n’allait pas devoir essuyer une réaction du genre « C’était une erreur », chose qu’il ne supporte pas. Quand on repousse quelqu’un, on lui fournit, tout de même un minimum d’explication. Il glisse la main sur la nuque du Vampyr, le regard perdu et vague, mourrant d’envie de renouveler ce qui venait de se passer. Son autre main vient se poser sur la joue de Gabriel, encore rougie.

« Ca ne devrait pas être permis de rougir comme ça, vous savez ? »

La voix est moqueuse, la voix est aussi, terriblement, troublée. La proximité n’aide pas. Vraiment pas. Et les pensées de Loup s’embrouillent dans sa tête , formant un magma compact de pensées en tout genre et de toutes sortes. Constatations, réflexions, onomatopées. Peu de phrase excédents l’incompressible sujet verbe complément. Oui, vraiment très peu. Il n’a pas les idées claires et ses mains glissent lentement jusque dans le dos de Gabriel, grisé par la douceur de la peau.

Un brusque sursaut le saisit et il tente de reculer, se rendant compte, violemment, de ce qu’il fait. C’est une brusque prise de conscience qui lui donne envie de s’enfuir à toutes jambes. Ce qu’il ne fait pas. Pour la bonne raison qu’il ne peut pas, Gabriel bloquant ses mouvements. Il déglutit, mais remarque avec amusement que ses mains refuse tout bonnement de quitter la parcelle de peau qu’elles occupent. Et cette simple constatation lui donne envie de rire. On n’est jamais mieux trahi que par son corps. Il sourit avant de fermer les yeux et de poser son front contre l’épaule valide du Vampyr. L’air froid leur arrache un frisson à tous les deux mais Loup n’est pas vraiment décidé à bouger. Vraiment pas. Buté, borné, et foncièrement bien , collé contre le Vampyr. Dommage pour lui.

Gabriel faisait face à trois hommes dans le sombre couloir menant aux chambres. Il avait été réveillé quelques instants plus tôt par deux de ses serviteurs, et n'avait pas prit la peine de se changer. Surtout pas pour trois membres du Sénat des vampires qu'il haissait. Le sénat était divisé en deux clans. Ceux qui étaient pour une coexistance pacifique avec les humains, et ceux qui voulaient les réduire à néant. Les vampires qu'il affrontait en ce lever de lune était de ceux là, et rien que leur vue lui donnait la nausée.

- C'est très imprudent de votre part de vous élever contre la volonté du conseil maître Nimrod...la guilde des vampire hunter est extrèmement mécontente de l'incident d'hier soir et réclame la tête de ce jeune vampire de rang C....Loup Stemnway c'est cela ?
- Sans doute sénateur...mais vous ne le trouverez sûrement pas ici....

Gabriel ferma discrètement la porte de Loup à distance pour que celui-ci ne fasse pas la gaffe d'apparaître au mauvais moment. S'il devait se débarasser de ces intrus, il le ferai lui-même, par le discours ou la force.

- Vous comprendrez que nous ne sommes pas disposés à vous croire Prince...il serait facheux d'ordonner à nos hommes de main de fouiller votre manoir pour le retrouver....n'est-ce pas ?
- En effet...il est très dangereux de parcourir ce manoir...il est vieux...et peuplé de tristes souvenirs...il existe certaines pièces où même moi, je ne mets plus les pieds...

Gabriel jouait un peu avec le feu en parlant à ses aînés de la sorte, mais il les avait tellement en horreur qu'il n'y faisait même plus attention. Le plus vieux s'approcha d'un air menaçant vers lui et lui sussura d'un ton douceureux :

- Vous ne devriez pas agir de la sorte Gabriel...avec la blessure que vous avez à l'épaule il vaudrait mieux vous ménager pendant quelques temps...un duel serait le mal venu...
- Mais voyons de quelle blessure parlez-vous....?

Le mince sourire que le vieux vampire affichait disparut petit à petit et se figea en une grimace haineuse. Gabriel le fixait d'un air de défi. Il ne voulait pas admettre qu'il n'était pas en mesure de se battre contre trois vampires de haut rang. Les vampires de classe A n'avaient jamais pu s'entendre entre eux. Là c'était encore pire.

- Ne faites pas l'enfant Gabriel...montrez-moi cette épaule...

Gabriel lui sourit insolemment et dénuda son épaule droite un instant pour la recouvrir de suite.

- Vous voyez bien qu'il n'y a rien....aucune inquiétude à avoir mais c'est très aimable à vous de vous préoccuper de ma santé...
- Immobilisez-le...

Gabriel grimaça de colère quand les plus jeunes se jetèrent sur lui et lui prirent les bras qu'ils maintinrent contre eux. Le sénateur s'avança d'un pas lent avec un abominable sourire sur les lèvres. Il avança lentement la main vers l'épaule gauche du Prince et la dénuda, laissant apparaître une zone bleutée sur la peau blanche. Les veines qui transparaissaient sous la peau d'opale du vampire semblaient fuir quelque chose plus profondément encré dans son épaule. Un sourire victorieux se dessina sur les lèvres de l'autre. Il attrappa l'épaule de sa main tendue et pressa son pouce contre la blessure. Gabriel grimaça et laissa échapper un grognement.

- C'est bien ce que je pensais...regardez l'état de votre épaule..haha...vous n'avez pas retiré toute la balle...qu'elle incompétence...je me demande bien qui a bien pu vous faire ce travail baclé...huhuhu...il y a des fragments dans l'os...une chance qu'elle n'ait pas pénétrer plus profondément...mmh ?
- ...hhh....oui...une chance...hhh...
- Nous pourrions aisément vous la retirer...maître Nimrod....

Le ton mielleux écoeura le Prince. Il tenta de se libérer de l'étreinte du sénateur, mais ne parvint qu'à renforcer sa prise. Celui-ci finit par le lâcher et ordonna aux autres d'en faire de même. Gabriel remonta sa manche sur son épaule avec un regard de dédain vers les autres.

- Ne me faites pas rire....la seule raison pour que vous vouliez m'ouvrir à nouveau l'épaule serait pour m'achever....

Les autres ne répondirent pas. Un silence qui en disait long.

- Toujours aussi séduisant...Gabriel...je me demande quand tu me cèderas enfin...huhu...
- Vraiment ? La seule question qui me vient à l'esprit pour le moment est : quand vont-ils me faire le plaisir de sortir de mon domaine...?....Vous avez un sacré culot pour venir me menacer jusque chez moi...
- Nous partons...mais nous n'oublions pas cet affront pour autant...nous aurons Loup...soyez en assuré...

Gabriel les regarda s'éloigner, raccompagnés par ses gardes du corps qui avaient été forcés de rester à l'écart et le regardaient d'un air coupable et honteux. Gabriel soupira de rage et de soulagement. Il posa sa main droite sur son épaule meurtrie et se retourna vers la porte de la chambre de Loup. Il se mordit la lèvre inférieure et fit un geste las de la main pour l'ouvrir. Rien ne bougea à l'intérieur.

- Loup...je sais que vous êtes derrière la porte...vous pouvez venir à présent...ils sont partis....

Les mains qui l’agrippaient semblaient enfoncer des piques de douleur tout au long de ses muscles encore endoloris. Mais Loup ne savais pas encore très bien ce qui le faisait le plus souffrir. Les paroles à peine murmurées ou la scène qui se déroulait à ce moment même sous ses yeux ? Le cœur serré, il observe sans un mot Gabriel se rapprocher du Sénateur. Il sait bien que c’est de sa faute. Il le sait. « Il tient beaucoup à vous. » Mais, bon sang, il devait… Il ne pouvait pas… Il se laisse embarquer sans trop résister, encore un peu sous le choc. Le cœur en berne, il regarde Les deux Vampyr collés l’un contre l’autre. Il ne reprend conscience du monde alentour que lorsque que son postérieur rencontre durement le fauteuil. Il cligne des yeux, encore un peu stupéfait. Il regarde les deux gardes qui l’entourent. Il sait qu’il ne pourra pas prendre la fuite. Il sait que tous ce qui vient de se passer a été mal interprété. Il baisse les yeux, il fixe ses pieds. La porte grince et il relève les yeux. Et son cœur le lance un peu plus. Les cheveux qui recouvre le visage de l’homme et sa main crispé sur sa bouche lui retourne le cœur. Il a l’impression que l’on est en train de jongler avec comme avec des balles. Il tourne, tourne, chute, se fait mal. Et son propriétaire souffre. Le silence qui entoure Gabriel l’achève. Il sent ses yeux le piquer doucement et il renverse la tête en arrière. Bon sang, devait-il toujours faire souffrir les gens qui l’entourent ? N’avait-il d’autre choix ? Il entend le bruit d’une porte qui se ferme et il se lève, fermement décidé à aller rejoindre. Le regard méfiants des deux Vampyrs le fait frissonner mais il ose, finalement, leur adresser quelques mots, justifiant ou plutôt tentant de justifier ce qu’il allait faire :

« Ecoutez… Je ne fuirai pas. Surveillez-moi si vous le souhaitez mais laissez-moi aller le voir… J’ai fait une énorme erreur et j’en suis conscient mais… Laissez-moi aller m’expliquer avec lui… »

Il n’attend pas d’eux une réponse verbale quelconque. Juste un geste. Un non-geste, en faites, une non-réaction, qui le permettra de passer la porte qui s’est close quelques instants plus tôt. Il serre les poings. Aucune réaction de la part des deux autres et son estomac fait un tour sur lui-même. Il murmure un « Merci » et s’éloigne vers la porte à pas hésitants. Il ne sait pas quoi dire, il n’est pas habitué à ce qu’on l’aide, il n’a pas l’habitude des interactions humaines. Il se frotte les cheveux et pose sa main sur la poignée de la porte appuyant légèrement et l’entrouvrant juste assez pour le laisser passer.

Pardon. C’est le premier mot qui lui bondit à l’esprit. Ses yeux sont écarquillés et le poignard qui semble s’amuser à tourner et se retourner dans sa poitrine depuis le début de cette affaire s’amuse à rentrer un peu plus profondément. Il cligne plusieurs fois des yeux avant de se décider à avancer, silencieux et désolé comme jamais. Le Vampyr, tellement occupé qu’il ne l’a pas entendu, semble chercher à enlever toute trace du sénateur. Blême et le visage défait. Loup serre les dents et s’avance vers lui lorsque Gabriel s’assoit sur la chaise, comme prostré, choqué, et totalement ailleurs. Loup s’approche encore et tend la main vers lui, avant de la baisser, peu désireux de s’attirer les foudres de l’autre. Il prend un grande inspiration mais ce n’est qu’un souffle léger et tremblant qui s’échappe de ses lèvres :

« Pardon. »

Les excuses ne changeront rien mais il a le sentiment que c’est par là qu’il se doit de commencer. Parce qu’il a été inexcusable et que tout ce qui vient de se dérouler est de sa faute.

« Ecoutez… Je ne voulais pas tout ça. Je ne voulais pas vous attirer des ennuis, je ne voulais pas que vous soyez blessé à cause de moi, je ne voulais pas. Quoi qu’il en soit, au jour d’aujourd’hui, c’est exactement ce qu’il s’est produit. Et, tant pis si vous me considérez comme étant un ingrat à cause de ça, je pense que le mieux pour vous serez de me laisser partir. Ils me trouveront, me tueront peut-être, mais vous serez tranquille et vous pourrez continuer à soutenir les gens défendant la paix. Et je pense qu’ils ont besoin des gens comme vous pour continuer à la préserver, cette paix. »

Il se mord la lèvre inférieure et s’accroupit, essayant de percer la barrière de cheveux du Vampyr pour voir ses yeux. Chercher un regard et détruire la tension qui l’habite. Il ferme les yeux, semblant réfléchir et puis, finalement, écarte du bout des doigts les mèches tombant sur les yeux de Gabriel, affrontant son regard.

La gorge serrée, il contemple les yeux rougis. Tétanisé. C’est le mot. Il écoute sans rien dire les quelques phrases que le Vampyr lui adresse, l’estomac et la gorge noués. Les yeux baissés, il sent Gabriel le prendre par les épaules et l’attirer vers lui. Les bras qui l’entourent et la main qui vient se blottir dans ses cheveux le laissent un peu sous le choc. Ca lui fait bizarre les contacts. Il n’a plus l’habitude de sentir des gens contre lui. Sourire, être au chaud, dormir sur ses deux oreilles, tout ça sont des notions qui lui semblent étrangement lointaine. Lui qui évitait, d’habitude, les gens, Vampyrs ou non, se retrouvait. Il cligne des yeux et puis, finalement et après bien des hésitations, finit par passer ses bras autour de Gabriel et par murmurer un léger :

« Merci… Vraiment. »

Il ne sait plus très bien ce qu’il voulait dire et sa voix tremblote légèrement. Très légèrement. Trop peu pour que quiconque le capte mais assez pour que lui le sente, cet infime changement dans sa voix, cette infime hésitation et cet unique tremblotement. Comme une flamme de bougie lorsqu’il y a un courant d’air. Comme la flamme de son briquet, lorsqu’il avait peur, les nuits de grands vents et qu’il se blottissait un peu plus derrière sa poubelle. Comme une petite étincelle. Etincelle de quoi ?, se demanda-t-il en fermant les yeux, trop bien pour quitter l’étreinte des bras du Vampyr. C’est vrai, ça, étincelle de quoi ? De peur, de regret ? Non… D’espoir, peut-être ? Peut-être, sûrement, en faites, il n’en savait rien. Confiance. Le mot claqua dans son esprit comme l’aurait fait un plomb qui grille. Confiance. C’était donc cela l’étincelle qui commençait à briller doucement dans ses yeux ? La boule qui se formait dans sa gorge s’évacua d’un coup et son sourire vint étirer ses lèvres en une large mimique. Sourire joyeux et terriblement adorable. Un vieux sourire qui ne ressortait que peu souvent. Un vieux sourire inscrit dans ses yeux. Il fixe légèrement Gabriel et se souvient, avec un léger temps de retard de quelque chose. Avance, recule. Il sourit intérieurement, faisant briller ses yeux un peu plus. Un peu plus que d’habitude. Son regard s’anime très légèrement. Et le remord semble s’y éteindre. Brusquement.

« Dites… Vous m’accorderiez quelque chose ? »

Il sent l’interrogation dans le regard de Gabriel et il en rit intérieurement. Son sourire se fait malicieux. Terriblement malicieux. Comme s’il préparait quelque chose. Un mauvais coup, quelque chose comme ça. Sauf que c’est loin d’être un mauvais coup. Du moins dans son esprit. C’est même une très bonne chose, il en est convaincu. Le mutisme étonné se poursuit et un fou rire menace de franchir ses lèvres. Il se mord violemment la lèvre inférieure.

« Vous disiez ? »

Il ne lui laisse, de toute façon, pas le temps de répondre. Il s’écarte très légèrement de Gabriel et, dressé sur la pointe des pieds, plaque ses lèvres sur les siennes.
*J’t’ai eu…*

Le bruit mat de la chute sur le sol. Leurs regards qui s’entrecroisent et ne se quittent même pas. Non. Pour une fois il ne s’était pas trompé. Enfin. Il le pense. Il fronce vaguement les sourcils avant de sourire. Hm… Tout va… Son sourire se crispe en même temps que les doigts de Gabriel sur son épaule. Bon sang… Ses pupilles se teinte d’inquiétude et la peur lui mord le ventre à vitesse grand V. Le « Tout va bien » sonnant terriblement faux le révolte et la fureur se peint un instant sur ses traits. Il lui en foutrait des « Tout va bien »… Mais, bon dieu, avait-il l’air si naïf que ça ? Loup savait parfaitement que ça n’allait pas et lu essayait de… De… Il serre les poings. Le rassurer. Ouais. Bien sûr. Sa bouche passe par différents rictus, divaguant entre un vague sourire, de la peur et de la colère. Il n’est plus un gosse, il a besoin d’entendre les choses telles qu’elles sont. Il voit les gardes du corps asseoir sans douceur le Vampyr sur une chaise et l’attacher. Loup chasse d’un mouvement de tête agacé toutes les idées déplacées et terriblement envahissantes que lui inspire la scène. Il déglutit à la demande du garde du corps avant de s’exécuter. Gabriel regarde ailleurs. En faites, il n’y a pas que son regard qui est ailleurs. Son esprit semble l’être aussi. On appréhende toujours la douleur lorsqu’on la sait inéluctable. Son regard à lui, inquisiteur, erre sur le torse pâle avec envie. Il sait qu’il n’est pas discret, il ne cherche pas à l’être. De toutes façons, même en le voulant, il n’y arriverait pas. Mais bon… Le regard gris se fiche soudainement dans ses pupilles. Il cligne plusieurs fois des yeux, surpris par ce brusque changement. Un sourire voguant entre le rassurant et le terrifié s’échappe sur ses lèvres. Il a mal pour le Vampyr. Si seulement cette stupide balle n’avait pas été d’argent… Si seulement il avait pu la retirer un peu mieux, aussi. Il soupire et tend à l’un des gardes ce qu’il lui avait demandé. Geste mécanique d’un automate profondément penché sur les dérives de ses pensées. Il cligne deux trois fois des yeux. Il accélère le temps en s’extrayant mentalement de la course des aiguilles de la montre. Quand il revient, les autres ont fini. Il était en mode automatique et, si quelqu’un s’en est aperçu, personne n’a rien dit. D’un pas léger il s’approche du Vampyr dont il défait lentement les liens. Il frôle du bout des doigts l’épaule, trop légèrement pour le faire souffrir mais en appuyant assez pour qu’il le sente.

« Ca va aller… N’est-ce pas ? »

Le ton est foncièrement inquiet. L’épaule de Gabriel a déjà subi trois interventions et une de plus pourrait se révéler autrement plus douloureuse. De plus, si jamais à cause de cette balle, le Vampyr perdait l’utilisation de son bras, il lui en voudrait et ça, Loup en était persuadé. Il se frotte les cheveux avant de déposer un léger bisou sur la joue de Gabriel.

« J’espère que je ne vous causerez plus d’ennuis, dans tous les cas. »

Loup a purement détesté tout ce qu’il a causé. L’attaque, les blessures, l’arrivée du Senateur. Tout ça le hérisse profondément. Surtout le Sénateur, en faites. Son ton suffisant lui donne envie de lui cracher à la figure. Chose qu’il ne fera, évidemment jamais et ce pour deux bonnes raisons : La première étant que, si jamais il se retrouvait un jour en face du Sénateur, ce serait le jour de l’exécution et la deuxième est qu’il faut être dingue pour s’en prendre de front à un Vampyr de classe A quand on est un C. Même quand on est autre chose, remarque, mais c’est un exemple personnel, rappelons-le. Sa main frotte son poignet, comme à son habitude, tournant autour, imitant l’ancien geste rassurant du bracelet tournant autour de son bras. D’ailleurs… Il est où son bracelet ? Loup le cherche du regard avant de se demander si Gabriel l’a vu et que, s’i ce n’est pas le cas, il doit se trouver encore dans sa chambre. Enfin, dans la chambre du manoir qui lui est attribuée. C’est la même chose, mais la formulation lui semble plus juste. Elle lui semble mieux correspondre à la réalité. Même si la notion même de réalité est discutable. Enfin bref.